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Autour de

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Filiger 27 mars - 22 juin 2019

Publié par Lemenuisiart sur 13 Mars 2019, 07:11am

Catégories : #peinture, #exposition, #paris, #presse, #C'est grâce à vous

La Maison du Pen-Du, paysage parabolique, vers 1890, gouache sur carton, 25 x 37,5, Collection particulière © Florent Chevrot

La Maison du Pen-Du, paysage parabolique, vers 1890, gouache sur carton, 25 x 37,5, Collection particulière © Florent Chevrot

La galerie Malingue, fidèle à son engagement envers les artistes de l’école de Pont-Aven et de l’entourage de Paul Gauguin, organisera une exposition sur le travail de Charles Filiger, un artiste qui mérite d’être mieux connu.

Pour la première fois depuis près de 30 ans, les amateurs d'art et tous les curieux de l'artiste pourront voir une large sélection de son travail. La dernière exposition personnelle, Filiger, a eu lieu au Musée d’art moderne à Strasbourg en 1990. Une exposition à Quimper en 2006 a exploré les liens entre André Breton et l’œuvre de Filiger.

Près de 80 œuvres de Filiger seront exposées ainsi que des publications illustrées par lui, toutes issues de collections privées ou de musées (en France: à Albi, Quimper, Brest et Saint-Germain-Laye), y compris le magnifique jugement dernier. de la collection Josefowitz, prêté par le Indianapolis Museum of Art.

Grâce à André Breton, le travail de Filiger a été redécouvert à la fin des années 1940 à travers l’exposition Gauguin et ses amis réalisée par Maurice Malingue, père de Daniel Malingue, à la galerie Kléber à Paris. La nouvelle exposition a été organisée par Daniel Malingue et sa fille Éléonore, réunissant trois générations avec une passion commune pour l'artiste .

Filiger, qui était associé au mouvement symboliste, a passé du temps avec Gauguin au Pouldu en 1989-90. Ils ont tous deux choisi de synthétiser et de styliser des formes après avoir expérimenté le pointillisme pendant une courte période. Filiger a développé un style très personnel dans de petites peintures de paysages bretons et de sujets religieux, éclairées par son amour de la peinture italienne ancienne. Après avoir examiné certaines peintures de Gauguin, il lui dit: «Tu es Gauguin. Tu joues avec la lumière. Je suis Filiger. Je peins l'absolu. "

Le travail de Filiger a été présenté aux expositions symbolistes dès la naissance de cette nouvelle esthétique, vers 1890. Parmi celles-ci figuraient l'exposition des peintres impressionnistes et symbolistes de la galerie Le Barc de Boutteville à Paris, le salon de la rose + Croix de la galerie Durand  Ruel et le Salon des XX en Bruxelles.  Son travail a été rapidement remarqué par les critiques et ses collègues artistes, dont beaucoup ont été influencés par lui. Il est également devenu ami avec des écrivains associés à cette nouvelle tendance. En 1894, Alfred Jarry publia le plus long article consacré à un artiste dans Mercure de France et Rémy de Gourmont lui demanda d'illustrer plusieurs de ses œuvres.  Antoine de la Rochefoucauld, mécène, lui a apporté son soutien financier pendant plusieurs années.
Après avoir quitté Le Pouldu en 1905, Filiger est devenu un solitaire, errant en Bretagne et vivant dans des hôtels et des hospices. Il a finalement été accueilli par une gentille famille de Plougastel-Daoulas. Bien que beaucoup aient pensé qu'il était décédé, il a continué à travailler même dans son isolement. André Breton a probablement été attiré par le travail de Filiger en raison de son intérêt pour Gauguin - qu’il considérait comme un peintre majeur - et pour Alfred Jarry, à qui il a consacré un article en 1919 sur son rôle d’éclaireur de l’art. Parmi les gouaches de Filiger en 1949, l'écrivain continua à collectionner ses œuvres jusqu'à la fin de sa vie et les présenta à ses amis surréalistes.

Photo de Charles Filiger

Photo de Charles Filiger

PRÉSENTATION DE FILIGER
par André Cariou, commissaire de l’exposition

Dans une lettre à Octave Maus à la fin de l’année 1890, en réponse à l’invitation qui lui est faite de participer au prochain Salon des XX à Bruxelles1, Paul Gauguin suggère que Charles Filiger, rencontré à Pont-Aven et avec lequel il a passé plusieurs mois au Pouldu en 1889 et 1890, soit également invité : « Permettez-moi, cher monsieur, de vous parler d’un ami à moi, monsieur Charles Filliger2, qui est en quelque sorte un de mes élèves. Je l’estime beaucoup comme personnalité, il a un art bien à lui et bien moderne. Il a exposé l’année dernière aux Indépendants et si votre liste (d’invitations) n’est pas close, je verrais avec plaisir cet artiste dans votre exposition. Excusez mon insistance sur ce sujet, mais comme vous l’avez écrit vous-même, le but des XX est de réunir des artistes indépendants sans aucune sorte d’école, pourvu qu’il existe le Talent. Et je me fais un devoir et un plaisir de vous présenter M. Filliger comme un de ceux-là. »
Gauguin est connu pour être économe dans ses appréciations et rarement bienveillant envers les autres peintres. Aussi l’attention qu’il porte à son jeune camarade n’en a que plus de prix et justifie, par avance, l’intérêt que l’on peut porter à Filiger.

Après des études à l’académie Colarossi à Paris et quelques essais dans le style pointilliste, l’Alsacien Charles Filiger (1863-1928) se rend en Bretagne à Pont-Aven en 1888 et devient un proche de Gauguin les deux années suivantes lorsqu’ils séjournent dans le hameau du Pouldu en Clohars-Carnoët. Au contact de son aîné, il adopte pour ses gouaches une technique simplifiée faite d’aplats colorés, suivant l’esprit du synthétisme. Il trouve rapidement sa manière, réalisant des petits formats ayant pour thèmes les paysages des environs et des scènes religieuses témoignant de sa passion pour les primitifs italiens et de son intention de revisiter l’art d’inspiration religieuse, évoquant des icônes ou des miniatures.

D’emblée, il occupe une place de choix dans le milieu regroupant peintres de l’École de Pont-Aven, nabis et symbolistes. Il participe aux expositions du groupe des « Peintres impressionnistes et symbolistes » à la galerie Le Barc de Boutteville (à partir de 1891), au salon des XX à Bruxelles (1891), au salon de la Rose+Croix à Paris (1892), ou au salon Pour l’art à Bruxelles (1892). Il se lie aussi avec plusieurs écrivains symbolistes qui soutiennent son travail. Il illustre ainsi deux ouvrages de Remy de Gourmont, fournissant des dessins pour la couverture du Latin mystique en 1892 et pour le frontispice de L’Idéalisme l’année suivante. Il agrémente aussi d’un dessin Prière, le recueil de poèmes de Jules Bois, qui, avec Antoine de La Rochefoucauld, lui donne une place de choix dans la revue Le Coeur. Gabriel-Albert Aurier l’encourage. Alfred Jarry vient spécialement le rencontrer en Bretagne en 1894 et lui consacre dans le Mercure de France de septembre de cette même année le plus important article qu’il écrive à propos d’un artiste. En octobre 1894, Filiger est choisi par Jarry et Gourmont pour ouvrir d’une gravure rehaussée leur nouvelle revue L’Ymagier. Soutenu par La Rochefoucauld, Filiger occupe rapidement une place de choix dans le milieu symboliste.

1 Bruxelles, Archives de l’art contemporain en Belgique des musées royaux des beaux-arts de Belgique, AACB 5710.
2 Son nom d’état-civil s’écrit avec deux « l ». Il adoptera vers 1890 le nom « Filiger ».

Architecture symboliste aux 2 taureaux verts, vers 1910-15, gouache sur papier, 25,7 x 21, Quimper, Musée des Beaux-Arts de Quimper © Quimper, Musée des Beaux-Arts

Architecture symboliste aux 2 taureaux verts, vers 1910-15, gouache sur papier, 25,7 x 21, Quimper, Musée des Beaux-Arts de Quimper © Quimper, Musée des Beaux-Arts

Pourtant dès ce moment, il ne parvient plus à surmonter ses angoisses et son dégoût de la vie, et, avec l’abus de la boisson et l’usage de l’éther – ses « méchants besoins » -, il ne peut avoir des relations sociales « ordinaires ». Il abandonne en 1893 la buvette de la Plage au Pouldu où il demeurait depuis trois années, et s’installe dans la dépendance d’une ferme des environs. Il commence à se replier sur lui-même dans une sorte d’exil intérieur pour essayer de survivre. Il écrit à Jules Bois fin 1893 ou début 18943 : « Je suis un non-sens vivant avec des apparences de résignation ou de calme ». Ainsi, lorsque Gauguin vient de Pont-Aven en 1894 pour l’inviter à une « partie » à Concarneau, Filiger doit y renoncer en raison de son état. Ou bien, lorsqu’Alfred Jarry lui demande une illustration pour l’article qui lui sera consacré dans un prochain numéro du Mercure France, il ne fait rien pour à y donner suite. Peindre  ses petites gouaches devient son unique but.

Filiger ne quittera pratiquement plus la Bretagne, retenu par l’isolement de la région qui lui convient, par la beauté de la nature environnante, par les modèles auxquels il s’est attaché et par ses états de santé. Il écrit à Alfred Jarry4 : « Je demeure comme un désespéré, ennuyé de la vie et, par-dessus le marché, toujours malade des états nerveux qui m’anéantissent. » La rente mensuelle versée par Antoine de La Rochefoucauld, les achats de son mécène et les aides de quelques amis dont Roderic O’Conor lui permettent de survivre. Désespéré et souvent malade, Filiger ne trouve pas l’énergie pour échapper à sa situation. L’aide de son mécène qui appelle « Fra Filiger »5 celui qui se compare à un moine manqué6 se révèle être un piège qui se referme sur le peintre.

Ne disposant à partir de 1902 que d’une maigre rente provenant de la succession de son père et incapable de promouvoir ses travaux, Filiger s’enfonce inexorablement dans la misère et s’engage irrévocablement dans une voie désespérée vers « l’absolu renoncement » qui va durer huit ans : en 1904, il quitte le Pouldu et entame une vie errante dans le centre de la Bretagne. Ses conditions de vie deviennent
épouvantables, dépassant parfois l’entendement. Il essaye d’entrer dans un asile d’aliénés, puis dans un monastère. À défaut, il se fait admettre dans des hospices ou demeure dans des hôtels et pensions parfois sordides, passant plusieurs mois de rang sans quitter la pièce où il loge. Il est totalement conscient de son renoncement à la vie sociale qui lui permet de « fermer les yeux sur la laideur du monde » et de lui apporter « la paix que le jour a troublée »7. Il vit son calvaire comme la seule solution dans sa recherche de l’absolu qui se matérialise à travers ses gouaches.

Ses sources d’inspiration évoluent. N’ayant plus de modèles, il trouve de nouveaux sujets dans la statuaire des chapelles bretonnes, dans les images d’Épinal reproduites dans L’Ymagier et dans les reproductions qu’il a conservées. Il élabore des compositions aux thèmes le plus souvent incompréhensibles faites d’une accumulation de sujets et  motifs, comme des hermines, fleurs de lotus, griffons ou staurolites. À la suite de ses essais de décors de poteries à Malansac, il adopte des formes et aplats colorés beaucoup plus simplifiés. Ses sujets, portraits, scènes religieuses ou paysages sont placé au centre d’un entour composé d’un décor géométrique de plus en plus complexe. Il écrit à son frère Paul en 19078 : « Ce que je veux, c’est donner une  forme concrète à des idées abstraites, au moyen de quelques formules des plus simples. »

3 Pont-Aven, musée, archive M260.
4 Lettre du 6 août 1895, transcription dans Lettres de Charles Filiger à Alfred Jarry, « Belles Lettres », dossier 22-24 du Collège de Pataphysique, 17 septembre 1963, p. 14, présentation par Emmanuel Peillet.
5 Filiger en parle dans une lettre à Jan Verkade vers février 1892, Beuron, Kunstarchiv de l’Erzabtei St. Martin.
6 Antoine de La Rochefoucauld, « Charles Filiger », Le Coeur, juillet-août 1893.
7 Lettre à Anna Filliger, décembre 1904, Saint-Germain-en-Laye, musée départemental Maurice Denis, Ms 4020.
8 Lettre à Paul Filliger, Saint-Germain-en-Laye, musée départemental Maurice Denis, Ms 4058.

Homme nu assis devant un paysage, 1892, gouache sur carton, 30,9 x 26,4, Collection particulière © Florent Chevrot

Homme nu assis devant un paysage, 1892, gouache sur carton, 30,9 x 26,4, Collection particulière © Florent Chevrot

Les oeuvres qui nous sont parvenues de ces années marquées par de longues périodes de dépression et des crises violentes sont peu nombreuses. Elles deviennent plus abondantes lorsque Filiger, après avoir réussi à échapper à l’enfermement de l’hospice de Guémené-sur-Scorff, se rapproche de Pont-Aven et du Pouldu. Il y retrouve des relations qui permettent quelques ventes. Puis il s’installe en 1913 dans un hôtel de Trégunc à mi-chemin entre Pont-Aven et Concarneau. Il y trouve miraculeusement l’appui de l’abbé Henri Guillerm qui apprécie ses créations. Il est pris en charge en 1915 par la famille Le Guellec qui tient l’hôtel. Suivant un accord avec la famille du peintre, elle le prend en charge lui jusqu’à sa mort en 1928 à Plougastel-Daoulas.

Ses thèmes et son style évoluent encore : il simplifie de plus en plus ses compositions, travaillant exclusivement au compas et à la règle, comme s’il voulait éliminer le caractère subjectif du coup de pinceau ou du trait à main libre. Elles vont se réduire à des entours faits de formes géométriques se développant autour d’une figure centrale, souvent un visage. Plus tard, il réalise d’une manière obsessionnelle des figures de plus en plus complexes, des recherches sur les rythmes colorés, aujourd’hui appelées Notations chromatiques. Elles illustrent sa quête de la perfection et son détachement des choses matérielles. Tous ses proches ont perdu le contact, certains le considérant dès 1904 comme décédé. Il a été progressivement oublié et sa mort en 1928 passe inaperçue. Il faudra attendre l’immédiat après-guerre pour que ses gouaches réapparaissent peu à peu et permettent de le situer dans l’art de la fin du XIXe siècle, en particulier de l’histoire de l’école de Pont-Aven. Cette redécouverte est due en grande partie à André Breton, mais d’autres comme Maurice Malingue ont perçu rapidement l’importance de l’oeuvre et le mystère de cet homme peu commun. Charles Filiger a tout sacrifié à la création de ses « machines », le nom qu’il donnait à ses gouaches. Il a poursuivi dans le plus grand isolement une recherche
personnelle qui lui donne une place unique dans l’art du début du XXe siècle.

Jeune Breton aux Sabots, 1895, gouache sur carton, 39,5 x 16,5, Collection particulière © Florent Chevrot

Jeune Breton aux Sabots, 1895, gouache sur carton, 39,5 x 16,5, Collection particulière © Florent Chevrot

LA REDÉCOUVERTE DE FILIGER PAR ANDRÉ BRETON
par André Cariou, commissaire de l’exposition

Le poète surréaliste André Breton est le premier à confirmer, par son intérêt personnel, l’importance de l’oeuvre de Charles Filiger.

Lorsqu’il rentre de son exil new yorkais en 1946, Breton ne sait rien de la vie et de l’oeuvre de Filiger, mort dans l’anonymat en 1928. Il rencontre probablement pour la première fois son nom en lisant la correspondance de Paul Gauguin éditée par Maurice Malingue en 19461, dans laquelle le nom du peintre apparaît à quelques reprises. Gauguin, que Breton place au premier rang, sera pour l’écrivain une sorte de garant du talent de Filiger. Puis Breton découvre le livre de Charles Chassé, Le Mouvement symboliste dans l’art du XIXe siècle publié en 19472. Il est en désaccord avec l’auteur sur le symbolisme, mais intéressé par les six pages consacrées à Filiger, considéré comme « une des physionomies les plus énigmatiques qui aient jamais existé ». Mais c’est Alfred
Jarry qui occupe la part la plus importante dans cette découverte. Breton acquiert en 1948 les Oeuvres complètes3 et découvre avec surprise le texte consacré à Filiger, publié dans le Mercure de France en septembre 1894. À la suite, il écrit en 1951 une étude qui a pour titre : « Alfred Jarry, initiateur et éclaireur ; son rôle dans les arts plastiques », publiée dans la revue Arts du 2 novembre, puis reprise dans La Clé des champs4 en 1953.
Il consacre à Filiger la majeure partie de cet article et y reproduit l’Architecture symboliste qu’il vient d’acquérir : « […] C’est pourquoi je crois devoir publiquement en appeler de l’oubli qui a frappé le nom d’un peintre particulièrement cher à Jarry et sans doute à Gauguin puisqu’il a vécu longtemps avec lui et qu’il le mentionne avec un vif intérêt dans ses lettres. Il s’agit de Filiger. Il y a, disais-je, autre chose : que l’on ouvre le tome VI des OEuvres complètes d’Alfred Jarry à la rubrique « Critique d’Art » et l’on s’apercevra que le seul texte important - des deux qui y prennent place - est consacré à Filiger et est tout à sa glorification, ce qui, joint à la qualité de l’émotion qui y passe, justifie, au moins jusqu’à un certain point, M. Chassé de tenir ce dernier pour le « peintre préféré » du père… d’Ubu roi. […] Ne fût-ce qu’eu égard au jugement d’Alfred Jarry qui s’est avéré si peu faillible dans ce domaine, souhaitons qu’une galerie - à défaut d’un musée national - s’emploie, quelles qu’en soient les difficultés, à mener à bien une exposition d’ensemble des oeuvres de Filiger, de manière à ce que, même tardivement, toute justice lui soit rendue. »

La Vierge aux anges, vers 1891-92, gouache sur papier, 23,3 x 29,2, Collection particulière © Florent Chevrot

La Vierge aux anges, vers 1891-92, gouache sur papier, 23,3 x 29,2, Collection particulière © Florent Chevrot

LA REDÉCOUVERTE DE FILIGER PAR ANDRÉ BRETON
par André Cariou, commissaire de l’exposition


1 Paul Gauguin, Lettres à sa femme et à ses amis, recueillies par Maurice Malingue, Paris, Grasset, 1946.
2 Charles Chassé, Le mouvement symboliste dans l’art du XXe siècle, Paris, Floury, 1947.
3 Alfred Jarry, OEuvres complètes, Monte-Carlo, Editions du livre et Lausanne, Henri Kaese, 1948.
4 André Breton, La Clé des champs, Paris, éditions du Sagittaire, 1953.
5 Breton fera une autre allusion au rôle de Jarry dans le texte consacré à « Henri Rousseau sculpteur ? » (Le Surréalisme et la peinture, Paris, Gallimard, 1965) : « De même que, de toute l’école symboliste de 1890, il sut distinguer et mettre hors de pair Filiger ».

En visitant en 1949 à Paris les expositions Gauguin et ses amis à la galerie Kléber (onze gouaches de Filiger) ou Eugène Carrière et le symbolisme à l’Orangerie (trois gouaches), Breton a sans doute vu pour la première fois le travail de ce peintre mystérieux. Mais c’est probablement sa rencontre avec Jean Le Corronc à Lorient, une ville qui lui est familière, qui le détermine à rechercher des oeuvres. Le Corronc a été en relation avec Filiger de 1911 à 1915. Il a pu raconter à Breton comment vivait le peintre et lui montrer les Filiger de diverses périodes de sa collection. Il lui signale en 1949 la vente à Pont-Aven d’une gouache de Filiger, l’Architecture symboliste, qui sera le premier achat de l’écrivain. Les années suivantes, Breton s’emploie à constituer une collection, suivant une sorte de « chasse au trésor », pour retrouver des oeuvres qu’il dispose derrière son bureau et pour l’essentiel sur les murs de sa chambre. Grâce à Chassé, Breton joint à Plougastel-Daoulas la famille Le Guellec qui a hébergé Filiger : il s’y rend en 1953, acquiert les dernières Notations chromatiques qui restent et récupère les derniers « papiers » du peintre6. Par l’intermédiaire des Le Guellec, il entre en relation avec une cousine demeurant à Toulon possédant des oeuvres provenant de son oncle, l’abbé Henri Guillerm. Un premier voyage d’Elisa Breton à Toulon en 1954, puis un déplacement que Breton effectue à son tour en 1959 permettent d’obtenir plusieurs gouaches dont certaines anciennes. Les années suivantes, il se porte acquéreur de quelques lots dans les ventes des collections de Roderic O’Conor ou de Marie Henry ou chez des libraires. Durant ces années de recherche d’oeuvres, il ne cesse d’approfondir sa connaissance du peintre et de le situer dans des contextes qui l’intéressent. Dans L’Art magique, édité en 19577, évoquant de nouveau Filiger, il écrit dans l’introduction générale : « Alors que le postimpressionnisme après Seurat, l’école de Pont-Aven sans Gauguin (en en exceptant Filiger, dont la ligne impeccable évoque, sur le plan poétique, celle de Germain Nouveau) entrent dans la voie des concessions, soit au réalisme primaire, soit au spiritualisme de stricte obédience, et connaissent un déclin rapide […]. ». Puis dans son texte consacré à Henri Rousseau et Paul Gauguin, il décrit Filiger comme « l’émule plastique de Corbière et même du Germain Nouveau des Poèmes d’Humilis, qui retrouve dans les fleurs des landes et les frustes griffons d’églises armoricaines l’extrême lointain d’une religion tellement exténuée qu’elle redevient sorcellerie. » La référence à Tristan Corbière ne surprend pas, car pour Breton, celui-ci est à la fois l’une des figures emblématiques de la Bretagne et l’incarnation absolue de la poésie depuis l’édition des Poètes maudits8. Pour Germain Nouveau, la découverte date de 1953, avec la première édition des poésies complètes. La vie de vagabond et de pèlerin de cet ami de Rimbaud n’est pas sans rappeler celle de Filiger. En 1958, Breton fait encore une fois référence à Nouveau dans une préface pour le catalogue de l’exposition de dessins symbolistes à la galerie Le Bateau Lavoir à Paris. L’écrivain a fait découvrir l’oeuvre de Filiger à Mira Jacob qui tient cette galerie et en a prêté trois sur les cinq exposés. Il écrit : « Toutefois, de Pont-Aven émerge entre toutes l’oeuvre de Filiger, portée d’un bout à l’autre par les mêmes ailes que « le Cantique à la Reine « de Germain Nouveau ». Ce texte sera repris dans Le Surréalisme et la peinture sous le titre « Du symbolisme ». Sur les cinq illustrations figurent trois reproductions d’oeuvres de Filiger.
6 Qui constituent le « dossier Filiger » d’André Breton, donné par Aube et Oona Élléouët au musée des beaux-arts de Quimper.
7 André Breton, avec le concours de Gérard Legrand, L’Art magique, Paris, édition du Club français du Livre, 1957. Le texte est illustré d’une Notation chromatique lui appartenant.
8 Paul Verlaine, Les Poètes maudits, Paris, Léon Vanier, 1884, consacré à Tristan Corbière, Arthur Rimbaud et Stéphane Mallarmé.

Le Jugement dernier, vers 1891-98, gouache, argent et or sur carton, 2 panneaux, 43 x 46,7, Indianapolis, India- napolis Museum of Art © Courtesy of Indianapolis Museum of Art at New elds

Le Jugement dernier, vers 1891-98, gouache, argent et or sur carton, 2 panneaux, 43 x 46,7, Indianapolis, India- napolis Museum of Art © Courtesy of Indianapolis Museum of Art at New elds

Paysage breton, 1890-91, Gouache sur carton, 48 x 32, Collection particulière © Florent Chevrot

Paysage breton, 1890-91, Gouache sur carton, 48 x 32, Collection particulière © Florent Chevrot

À son retour en France, Breton a manifesté un intérêt renouvelé pour la Bretagne. En 1949, il fait la connaissance de Jean Markale et il se lance dans une découverte passionnée de l’art celtique et du cycle arthurien, puis des monnaies gauloises qu’il collectionne. Il contribue ainsi à l’exposition « Pérennité de l’art gaulois » présentée en 1955 au Musée pédagogique à Paris. Dans le second volet de cette exposition, intitulé « De l’art gaulois à l’art moderne », élaboré avec Lancelot Lengyel et Charles Estienne, comprenant des oeuvres de Gauguin, Redon ou Seurat, figure le Salomon 1er, roi de Bretagne de Filiger qu’il vient d’acheter et dont il a découvert le titre donné par le peintre avec le plus grand plaisir. Enfin, Breton s’intéresse dès le milieu des années 1930 au monde des créateurs inspirés, fous, naïfs, médiums ou délirants, et Filiger, tel qu’il a été décrit par Chassé, peut être situé dans la catégorie des « artistes isolés ». Sa découverte de Filiger coïncide avec ses relations en 1948 avec Jean Dubuffet et l’écriture
de L’Art des fous, la clé des champs, publié en 19489. Cet extrait pourrait correspondre à Filiger même s’il n’y est pas cité : « Par un bouleversant effet dialectique, la claustration, le renoncement à tous profits comme à toutes vanités, en dépit de ce qu’ils présentent individuellement de pathétique, sont ici les garants de l’authenticité totale qui fait défaut partout ailleurs et dont nous sommes de jour en jour plus altérés. » Il est probable que Breton et Dubuffet ont comparé certaines gouaches de Filiger comme l’Architecture symboliste avec celles d’Augustin Lesage, récemment découvertes par Dubuffet lors d’une exposition de peintres spirites. Les Notations chromatiques, par leur
caractère obsessionnel, correspondent bien à ce que Breton et Dubuffet perçoivent des artistes « inspirés».
Alain Jouffroy évoque cette passion de Breton pour Filiger10 : « C’est à des qualités sensibles autant qu’à des exigences intellectuelles que Breton obéit dans son amour de Filiger dont il a placé les oeuvres au-dessus de son lit. Le matin, au moment de se recomposer avec le monde extérieur, il aime les effleurer des yeux. Ce peintre méconnu, et qui a peut-être exercé une influence déterminante sur Gauguin - dernière redécouverte de Breton - est le signe que la recherche commencée par lui au moment où, à 15 ans, il contemplait ravi les toiles de Matisse dans les vitrines de la galerie Bernheim, continue de tracer, dans le monde actuel, un chemin phosphorescent qui ne mène où nul n’est jamais allé. » De même que Pierre Cabanne11 : « Quand Filiger mourut, en 1928, il rejoignit cet Au-delà auquel il avait toujours aspiré ; mais il semble que, par-delà l’oubli, Filiger ait gardé ce pouvoir mystérieux dont ceux qui l’approchèrent éprouvèrent l’ascendant. Il faut sans doute en voir la preuve dans le fait qu’André Breton ait disposé ses oeuvres autour de son lit pour en recevoir la protection
bénéfique. » Les deux expressions qui terminent ces citations, « le chemin phosphorescent, qui mène où nul n’est jamais allé », et « en recevoir la protection bénéfique », laissent imaginer à la fois des portes vers un autre monde et un cercle protecteur. Comme si ces oeuvres, douées d’un pouvoir de transmission ou de transmutation, en les conservant dans le domaine intime et presque secret de sa chambre, appartenaient à ce que Breton a appelé « l’art magique ». Il écrira12 que l’une d’elles, l’Architecture symboliste, avait pour lui valeur de « talisman ». On ne sait vraiment pas ce qui intéressait le plus Breton chez Filiger. Était-ce le personnage, un révolté et un asocial à la limite de la folie, le reclus volontaire, l’oublié de l’histoire, comme Germain Nouveau ? Ou bien était-ce le mystique, proche des Péladan, Bois ou Saint-Yves d’Alveydre ? Ou bien cet étrange peintre, qui tente de lier images d’Épinal, gravures du XVIIe siècle, vitraux et enluminures du Moyen-Âge, art byzantin, primitifs italiens et statuaire des chapelles bretonnes ? Ou bien ce Breton de coeur et d’esprit, bien qu’Alsacien d’origine, qui a tenté de comprendre la Bretagne comme nul autre ? Alors que les premiers amateurs ne recherchaient que les oeuvres de la période du Pouldu, dans le sillage de Gauguin, André Breton au contraire s’intéressera à tous les aspects de l’oeuvre, en particulier les Notations chromatiques qui sans nul doute lui ont fait penser à Saint Yves d’Alveydre. Finalement André Breton a très peu écrit sur Filiger (comme il a très peu écrit sur Gauguin) alors que celui-ci a occupé une bonne part de son temps durant une dizaine d’années. Mais à cette époque il publiait moins et la découverte lui importait, alimentée par une curiosité insatiable, mais aussi correspondait à une sorte de fébrilité et d’exaltation dans les explorations, de rencontres en rencontres. Il s’agissait d’une vraie quête et de la recherche d’un trésor.
9 Les Cahiers de la Pléïade, n° 6, automne 1948 – hiver 1949.
10 « La collection André Breton », L’OEil, octobre 1955, p. 39.
11 « 34 après sa mort, révélation de Filiger, ami de Gauguin et de Jarry, détient-il les clefs d’un art magique ? », Arts, décembre 1962.
12 Arts, 1951.

Le repos, vers 1889-90, gouache sur papier, 12,5 x 23,8, Collection particulière © Florent Chevrot

Le repos, vers 1889-90, gouache sur papier, 12,5 x 23,8, Collection particulière © Florent Chevrot

BIOGRAPHIE DE CHARLES FILIGER

1863 Naissance de Charles Filliger à Thann en Alsace. Son patronyme s’écrit avec deux l mais le peintre le modifiera en «Filiger» dans les années 1891. Son père est dessinateur et coloriste dans une manufacture d’impression d’étoffe et de papier peint.

1880-1885 Charles travaille sans doute dans une manufacture d’impression à Thann ou dans les environs.

1885-1886 Arrivée à Paris. Il fréquente l’académie Colarossi et se lie avec des peintres comme Paul-Émile Colin et Louis Roy, avec lequel il se peut qu’il soit allé peindre dans la vallée Chevreuse. Il rencontre alors peut-être Daniel de Monfreid, Paul Gauguin et ClaudeÉmile Schuffenecker, qui possèdera plusieurs de ses oeuvres.

1888 Il adopte la technique divisionniste. Premier séjour à Pont-Aven, où il fréquente Gauguin et fait la connaissance d’Émile Bernard et de Paul Sérusier qui y peint alors la petite vue du Bois d’Amour qui deviendra Le Talisman des artistes du groupe Nabi.

1889 Filiger est de retour en Bretagne. En août il est à l’hôtel Destais au Pouldu en compagnie de Gauguin. A l’occasion de l’Exposition Universelle, M. Volpini présente dans son Café des Arts la première exposition de la nouvelle école synthétiste, organisée par Gauguin. En septembre, Filiger expose pour la première fois, au Salon des indépendants. Ses deux études pointillistes sont remarquées par Félix Fénéon et il est repéré par Théo van Rysselberghe, envoyé par Octave Maus qui recherche des peintres pour son Salon des XX à Bruxelles.

1890 Filiger demeure à Paris durant le premier semestre. Il est en relation avec Émile Bernard et avec Gauguin, auquel il achète un dessin. Ce dernier lui offre la suite de onze zincographies
– dite Suite Volpini – réalisée en 1889 et qui témoigne de l’évolution récente de, son art vers un synthétisme plus radical.
Deuxième participation en mars au Salon des indépendant où il présente quatre oeuvres qui traduisent déjà une évolution stylistique, l’abandon du pointilliste et l’adoption du synthétisme pont-avénien. Cette participation lui vaut une première mention élogieuse de Gabriel-Albert Aurier dans le Mercure de France d’avril-mai. Première quinzaine de juillet : Filiger quitte définitivement son atelier parisien pour s’installer au Pouldu à la buvette de la Plage, tenue par Marie Henry, où il retrouve Gauguin, Sérusier et De Haan.
A l’automne, il se retrouve seul à l’auberge avec Maxime Maufra. Il vivra au Pouldu presque sans interruption durant quinze ans.

1891 En février, Filiger expose quatre oeuvres au Salon des XX à Bruxelles grâce à la recommandation de Gauguin. Au printemps, séjour à Paris où il fait la connaissance d’Antoine de La Rochefoucauld et de Remy de Gourmont avec lesquels il se lie d’une longue et fidèle amitié. Gauguin lui offre son Portrait de Stéphane Mallarmé. En avril, Gauguin quitte Paris pour Tahiti, où il séjourne jusqu’en 1893. Durant l’été, Filiger entreprend quelques gouaches à sujets religieux comme La Sainte Famille, Saint Jean-Baptiste ou Le Christ aux anges qui figureront parmi ses chefs-d’oeuvre et qu’Antoine de La Rochefoucauld s’empresse d’acquérir. Jan Verkade s’installe à l’auberge au Pouldu et noue des relations amicales avec lui. En décembre, la revue symboliste La Plume publie une lettre ouverte d’Émile Bernard qui présente et défend Filiger. En décembre, participation à la Première exposition des « Peintres impressionnistes et symbolistes » chez Le Barc de Boutteville, 47 rue Le Peletier à Paris. Ces expositions collectives rassemblent pour l’essentiel des néo-impressionnistes, symbolistes, peintres de l’école de Pont-Aven et Nabis. Filiger y exposera à sept reprises.

1892  Filiger passe l’année au Pouldu, à la buvette de la Plage. En mars, il expose six gouaches, remarquées par la critique, au premier Salon de la Rose+Croix à Paris, à la Galerie Durand-Ruel. À l’issue de cette exposition, La Rochefoucauld décide de lui verser une mensualité de 100 francs, indépendamment des achats qui suivront. Il bénéficiera de cette aide financière jusqu’à fin 1901. Dans le Revue encyclopédique du 1e avril, Gabriel-Albert Aurier publie un article sur «Les Symbolistes», illustré par La Prière, première oeuvre de Filiger reproduite dans la presse. Durant l’été, Remy de Gourmont choisit une de ses oeuvres pour la couverture de son ouvrage Le Latin mystique : les poètes de l’antiphonaire et la symbolique au moyen âge. Verkade vient passer quelques jours au Pouldu. Il reviendra peu après en compagnie de Mogens Ballin. Le peintre symboliste belge Jean Delville invite Filiger à participer au salon qu’il organise en décembre à Bruxelles, Pour l’Art. Filiger commence à travailler sur un Jugement dernier, conçu comme un triptyque, mais qui restera à l’état de diptyque lors de son envoi à La Rochefoucauld en 1900. Émile Bernard, de retour à Pont-Aven après deux ans d’absence, vient lui rendre visite. Les deux peintres dessinent leurs portraits respectifs en vue d’une exposition Portraits d’un prochain siècle chez Le Barc de Boutteville, et échangent des oeuvres. Le 8 décembre, Filiger parachève le décor de la salle à manger de la buvette de la Plage en peignant sur un dessus-de-porte un Génie à la guirlande de roses (Quimper, Musée des Beaux-Arts).

Le solitaire, vers 1889-90, gouache sur papier, 11,3 x 22,8, Collection particulière © Florent Chevrot

Le solitaire, vers 1889-90, gouache sur papier, 11,3 x 22,8, Collection particulière © Florent Chevrot

1893 Filiger ne quitte pas Le Pouldu de l’année. Il demeure jusqu’au milieu de l’année à la buvette de la Plage. Remy de Gourmont fait de nouveau appel à lui pour agrémenter son ouvrage L’Idéalisme. Mars : Antoine de La Rochefoucauld et Jules Bois créent une revue à parution mensuelle, Le Coeur. Ils lui commandent un dessin qui sera reproduit dans le numéro de juin. Fin juin : Filiger quitte la buvette de la Plage et s’installe dans une ferme du hameau de Keranquernat au Pouldu, puis, quelques semaines plus tard, dans celui de Kersulé où il va demeurer sept ans. Durant l’été, Jules Bois lui rend visite et lui demande une illustration pour son prochain ouvrage, Prière. Le numéro de juillet-août de la revue Le Coeur publie un important article d’Antoine de La Rochefoucauld consacré à Filiger, et illustré d’un de ses dessins.À la fin de l’été, Filiger reçoit la visite de Léon-Paul Fargue. En août, Gauguin est de retour de Tahiti. En septembre-octobre, il figure dans l’exposition Portraits du prochain siècle chez Le Barc de Boutteville. À la fin de l’année, Seguin grave une planche d’après le Saint Jean-Baptiste prêchant de Filiger.

1894 Filiger ne quitte pas Le Pouldu de l’année. Mai : Gauguin est de retour au Pouldu, pour ce qui sera son dernier séjour en Bretagne. Il rend visite à Filiger pour l’inviter à une sortie à Concarneau que celui-ci décline en raison de son état. Le 25 mai, Gauguin y sera blessé lors d’une agression, et Filiger lui rend visite à Pont-Aven. Gauguin lui dédicace la gravure, Manao Tupapau. En juin, Alfred Jarry vient rencontrer Filiger à la demande de Remy de Gourmont. À son retour à Paris, il écrit un important article publié dans le Mercure de France de septembre, qui sera son article le plus conséquent consacré à un artiste. Seguin dédie une estampe à Filiger, puis deux autres l’année suivante. Filiger possèdera quatorze gravures de son ami (conservées à la Bibliothèque nationale de France). Sans doute durant l’été, Marie et Eugénie Schevtzoff (qui épousera Wladyslaw Slewinski) passent leurs vacances à Pont-Aven et lui rendent visite. Marie lui achète plusieurs gouaches. Sortie en automne du premier numéro de L’Ymagier, créé sous la double direction de Jarry et de Gourmont, avec une gravure sur bois d’après un dessin de Filiger, Ora pronobis, qui sera de nouveau publiée dans le Mercure de France de novembre.

1895 Filiger passe l’année au Pouldu jusqu’à début novembre. Il vit dans une grande misère, accumulant des dettes en raison de ses besoins d’alcool et d’éther. Armand Seguin et Roderic O’Conor font partie de ses rares fréquentations. En avril, exposition de trois gouaches à la Galerie Laffitte (Lucien Moline), 20 rue Laffitte à Paris. En juillet, Gauguin repart pour Tahiti, où il reste jusqu’à sa mort, aux Îles Marquises, en 1903.

1896 Au début de l’année, Filiger se rend à Paris pour dessiner des études pour le portrait d’Antoine de La Rochefoucauld. Ayant admiré le portrait d’Émile Bernard, celui-ci avait en effet demandé son portrait à Filiger qui tergiversait depuis trois ans pour le réaliser. Vers mars-avril, Filiger est de retour au Pouldu et passe le reste de l’année à élaborer le portrait dont il peint lui-même le cadre. Parution du recueil de Jules Bois, Prière, illustré par Filiger.

1897-1899 Filiger passe l’année au Pouldu. Durant l’été 1898 , Roderic O’Conor revient à Pont-Aven et renoue avec lui. En mars 1899, il participe à une exposition aux galeries Durand-Ruel, 11 rue Le Peletier, à Paris. Les tendances néo-impressionnistes, synthétistes ou Nabi y sont représentées. Durant l’été 1899, Maurice Denis, passant ses vacances en famille au Pouldu, lui rend visite et lui offre un dessin. Il s’agit de leur première et seule rencontre.

1900 Filiger passe toute l’année au Pouldu. Il quitte le hameau de Kersulé pour celui de Lanmarc’h. Par l’intermédiaire d’Antoine de La Rochefoucauld, il participe à la première exposition du « Groupe ésotérique », Hôtel Valery, à Paris. La Rochefoucauld sert d’intermédiaire entre le peintre et René Philipon (collectionneur et mécène, spécialiste de sciences occultes), qui lui achète une oeuvre.

Paysage de Bretagne, vers 1892-93, gouache sur carton, 22,5 x 28, Collection particlulière

Paysage de Bretagne, vers 1892-93, gouache sur carton, 22,5 x 28, Collection particlulière

1901 Filiger séjourne au Pouldu jusqu’à septembre, puis il se rend à Paris où il ne voit que Louis Roy et Remy de Gourmont. A l’automne, à son retour en Bretagne, il s’installe à Rochefort-en-Terre dans le Morbihan, à l’hôtel Lecadre qu’il connaît grâce à Roderic O’Conor.
En décembre, il reçoit la dernière mensualité versée par Antoine de La Rochefoucauld. Il ne bénéficie plus alors que de la rente de 400 francs par trimestre correspondant à son héritage à la mort de son père, ce qui ne couvre même pas le minimum de ses dépenses pour survivre.

1902 Filiger séjourne à Rochefort-en-Terre, puis à Malansac, à proximité, où il s’essaie à la poterie afin de diversifier sa production et trouver de nouveaux débouchés. Mais ce sera un échec.

1903 Après s’être établi en début d’année à Elven dans le Morbihan, il se rend à Bâle pour voir son frère Paul, qu’il n’a pas revu depuis la mort de leur mère en 1891. Le but est de trouver une solution pour assurer son avenir. Il fait la connaissance de sa nièce Anna, âgée de 10 ans et pour laquelle il aura une profonde affection. En novembre, à son retour au Pouldu, il s’installe à l’hôtel Portier.

1904 En avril, Filiger quitte l’hôtel Portier devenu trop cher et s’installe à proximité dans une ferme du hameau de Kersellec. Il a pour voisin le peintre Adolphe Seligmann avec lequel il se lie. Il est aidé par Roderic O’Conor et Wladyslaw Slewinski.

1905 Jusqu’en juin, Filiger séjourne au Pouldu, puis il entame une vie d’errance à travers la Bretagne intérieure qui durera dix ans. Il essaye d’abord d’entrer à la maison des aliénés de Lesvellec en Saint-Avé dans le Morbihan, mais en vain. Puis il est admis à l’hospice de Malestroit dans ce même département. Le séjour se passe mal et, à la fin de l’année, il s’enfuit pour s’installer à Elven. Il termine la Légende de l’éternité, étrange composition en triptyque vertical à laquelle il a travaillé près de quatre ans.

1906 Filiger s’établit à Rohan dans le Morbihan, dans la perspective d’entrer à l’abbaye de Timadeuc située à proximité, mais en vain. Après de longs mois d’hésitation, il prend pension à l’hôtel du Relais de Poste à Gouarec, dans les Côtes-d’Armor. Il éprouve une bonne impression en découvrant les environs et il connaît un certain apaisement. Mais les deux années suivantes seront épouvantables.

1907 Filiger passe l’année à Gouarec. Pour la première communion de sa nièce Anna, il lui offre une Notre-Dame-du-Bon-Conseil, délicate Vierge à l’Enfant inspirée des Primitifs italiens.

1908 Filiger passe l’année à Gouarec. Son projet de partir est contrecarré par un accident en octobre (il se casse la jambe lors d’une chute) et il doit malheureusement prolonger son séjour. L’historien de l’art Julius Meier-Graefe indique dans son livre Modern Art, Being a Contribution to a New System of Aesthetics que Filiger est décédé.

1909 Filiger séjourne jusqu’en mai à Gouarec. Claude-Émile Schuffenecker fait découvrir ses créations au jeune Richard Burgsthal, musicien et maître verrier. Après s’être fait voler des oeuvres et son argent, Filiger s’enfuit et s’installe à Guémené-sur-Scorff dans le Morbihan.

1910 Après quelques mois à l’hôtel des Voyageurs, Filiger se fait admettre à l’hospice. Il connaît une nouvelle période dramatique et rompt avec son frère Paul.

Paysage du Pouldu, vers 1895, gouache sur papier, 26 x 38,5, Quimper, Musée des Beaux-Arts de Quimper © Quimper, Musée des Beaux-Arts

Paysage du Pouldu, vers 1895, gouache sur papier, 26 x 38,5, Quimper, Musée des Beaux-Arts de Quimper © Quimper, Musée des Beaux-Arts

1911 Filiger est à Arzano dans le Finistère, demeurant à l’hôtel Jagoudez. Un autre pensionnaire raconte qu’il abuse d’alcool et de véronal et qu’il a failli un jour en mourir.

1912 Durant l’été, Filiger s’établit à l’hôtel de Bretagne dans la ville de Quimperlé. Plus proche de Pont-Aven et du Pouldu, il renoue des relations avec les peintres Guy Ferris Maynard et Katherine McCausland qui lui placent des oeuvres à Pont-Aven et à Concarneau. Il rencontre aussi les musiciens Jean Lamblardy, qui lui achète une oeuvre, et le Belge Armand Parent, passionné par Gauguin et auquel il vend sa gravure de ce dernier, Portrait de Stéphane Mallarmé.

1913 Au cours de l’année, Filiger se rend à Trégunc, un bourg entre Pont-Aven et Concarneau. Il s’installe à l’hôtel du Menhir, tenu par la famille Le Guellec. Il se lie avec un cousin de l’hôtelier, l’abbé Henri Guillerm qui s’intéresse à ses oeuvres. Filiger est aussi en relation avec Jean Le Corronc qui vend ses gouaches dans sa boutique de Pont-Aven.

1914 Fin janvier, décès de son frère Paul.
Le 2 mars, quatre de ses oeuvres sont présentées à la vente de la collection de «La Peau de l’ours» à Paris, un des premiers succès commerciaux de l’avant-garde artistique. Trois sont rachetées par le fondateur de cette association de collectionneurs, André Level, et la quatrième par Eugénie de la Rochefoucauld, la femme d’Antoine.

1915 Lorsque Jean Le Guellec prend un emploi de secrétaire de mairie à Plougastel-Daoulas, un accord est conclu entre la famille du peintre et la famille Le Guellec qui le prend dorénavant en charge jusqu’à sa mort.
Décès de sa soeur Désirée.
24 mai : Filiger accompagne la famille Le Guellec qui part s’établir à Plougastel-Daoulas.

1920 A l’initiative d’Antoine de La Rochefoucauld, Filiger expose six gouaches au Salon des indépendants.

1921 Édition du livre de Charles Chassé, Gauguin et le groupe de Pont-Aven qui n’a pas réussi à localiser Filiger et en parle très peu.

1925 Le poète Saint-Pol-Roux rend visite à Filiger à Plougastel-Daoulas. Tous deux vont ensuite retrouver Sérusier à Châteauneuf-du-Faou.

1926 Trois gouaches de Filiger sont présentées dans la section des « expositions posthumes » à l’exposition rétrospective organisée au Grand Palais pour les 30 ans du Salon des indépendants.

1927 Avant 1928, Hélène Kröller-Müller – ou son conseiller Henk Bremmer pour elle – achète
le Paysage aux saules pour la Fondation Kröller-Müller. Filiger est soigné pour une crise d’hydrocèle.

1928 L’état de Filiger empire. Il est hospitalisé à Brest où il meurt après avoir été opéré le
11 janvier. Il est enterré dans le caveau familial de la famille Le Guellec à Plougastel-Daoulas.

Paysage pointilliste, vers 1888-89, gouache sur papier, 12,5 x 23,8, Collection particulière © Florent Chevrot

Paysage pointilliste, vers 1888-89, gouache sur papier, 12,5 x 23,8, Collection particulière © Florent Chevrot

Livre

Un catalogue de l’exposition sera publié, reproduisant toutes les oeuvres en couleurs, avec des textes d’introduction et d’analyses par :
• André Cariou, Commissaire de l’exposition, historien de l’art et ancien conservateur du musée des beaux-arts de Quimper
• Jean-David Jumeau-Lafond, Historien d’art spécialiste du mouvement symboliste dans toute l’Europe (www.jeandavidjumeaulafond.com),
• Roland Recht, Historien de l’art également, ancien conservateur en chef et directeur des Musées de Strasbourg (www.rolandrecht.org).
Environ 100 pages.

Charles FILIGER Correspondance et sources anciennes, André CARIOU, historien d’art Parution le 15 mars
Ce beau-livre constitue un travail considérable de collecte exhaustive et de présentation critique, assorti sur 320 pages en grand format de 140 oeuvres de Filiger et divers documents, photographies, livres illustrés et
dessins. Filiger eut une vie très compliquée, de misère et de folie. Mais son génie artistique le place au rang des peintres culte. Ses oeuvres rares valent des fortunes sur le marché mondial.
A noter : il n’y a plus de livre actuellement disponible sur cet artiste (sauf un essai texte paru au Cerf...) qui pourtant attire une vraie curiosité. C’est un continent à découvrir, au-delà de la trilogie bien connue Gauguin/Bernard/Sérusier, et qui la complète d’une manière très intéressante.
Beau-livre d’art relié, jaquette
22 x 26,2 cm 312 pages couleurs + 100 oeuvres reproduites
35 €

Portrait d’Antoine de la Rochefoucauld, vers 1896, Gouache et rehauts d’or sur carton, 40 x 22,5, Collection particlulière

Portrait d’Antoine de la Rochefoucauld, vers 1896, Gouache et rehauts d’or sur carton, 40 x 22,5, Collection particlulière

Filiger
27 mars – 22 juin 2019

Malingue
26 Avenue Matignon 75008 Paris
Ouvert de 10h30 à 12h30 et de 14h30 à 18h30 du mardi au vendredi
De 14h30 à 18h30 le lundi et le samedi
Entrée libre

Rêverie, vers 1890, Gouache et aquarelle sur papier, 12,2 x 16,5, Collection particulière © Florent Chevrot

Rêverie, vers 1890, Gouache et aquarelle sur papier, 12,2 x 16,5, Collection particulière © Florent Chevrot

Tête d’adolescent, vers 1890-92, gouache sur carton, 23,5 x 16,4, Collection particulière

Tête d’adolescent, vers 1890-92, gouache sur carton, 23,5 x 16,4, Collection particulière

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Commenter cet article
M
Encore un article très interessant,merci pour cette belle découverte
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L
Merci beaucoup
M
Je ne connais pas du tout et tout artiste mérite qu'on s'y attache un moment...Merci pour cet exposé complet
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L
C'est bien il faut toujours découvrir
M
une peinture que je n'affectionne pas beaucoup à part le premier tableau que je trouve intéressant avec ces couleurs.....passe un bien agréable jeudi
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L
C'est déjà bien
R
Un exposé intéressant , cela dit ce n'est pas trop mon style mais c'est du beau travail et je respecte le talent <br /> Merci à toi
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L
C'est ton droit
P
C'est particulier mais assez esthétique je trouve .Un bel article .<br /> Bonne journée !
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L
C'est déjà bien
T
Salut<br /> Beaucoup de recherche pour nous présenter un bel article bien documenté. <br /> J'aime bien car j'apprends beaucoup sur la peinture. <br /> Bonne journée
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L
Moi j'aime les articles bien complet
P
Bonjour<br /> J'espère que tu vas bienJ'ai adoré ton article, il est superbement documenté et les textes nous disent beaucoup de choses.Merci de ce suer partage !Je te souhaite une bonne journée@lain
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L
Comme moi j'aime
D
des oeuvres intéressantes et émouvantes et un texte fort complet, sans doute un peu long à lire quand le matin on va d'un blog à l'autre, mais cette parution trouvera amateurs
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L
Je comprend bien, mais j'aime le complet
C
Bonjour Christian, <br /> Merci pour ce partage, un artiste que je découvre, une oeuvre très belle à voir si on le peut.<br /> Bonne journée<br /> @mitiés
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L
Très bien, j'aime faire découvrir.
Z
Magnifique reportage Christian. Bises et bon mercredi
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L
Merci beaucoup
O
Bonjour d’Angers …<br /> Peintre de l’absolu … je trouve une tendance “naïve” … sur des symboles certes, mais ...<br /> Bonne journée ... Amicalement ... ¢ℓαυ∂є …
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L
A chacun son avis
D
Encore une magnifique présentation !<br /> Bon mercredi avec le vent qui est revenu, limite tempétueux !<br /> Résultats d'hier : tout est normal pour les suites du cancer.<br /> Pourtant très mal au dos et vraiment pas bien, vertiges, nausées ...<br /> Bisoux, cher christian.
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L
Ici oui

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