MIGUEL CHEVALIER
PIXELS NOIR LUMIERE 2019
MUSÉE SOULAGES, RODEZ
DU 19 AVRIL AU 26 MAI 2019
Tout au long de l’année 2019, le “Siècle Soulages” sous l’égide de Rodez agglomération et la Ville de Rodez, associe différents acteurs culturels du territoire pour rendre hommage à la vie et l’oeuvre de Pierre Soulages, source d’inspiration pour des artistes, toutes générations confondues, qui fêtera son centième anniversaire le 24 décembre 2019.
Le musée Soulages est évidemment l’un des acteurs principaux de ce programme et propose entre autres événementiels, l’exposition Miguel Chevalier, Pixels Noir Lumière 2019 du 20 avril au 26 mai 2019.
Sous forme d’hommage à Pierre Soulages, Miguel Chevalier investit respectueusement la salle d’exposition temporaire du Musée Eponyme et met en lumière son admiration pour cet artiste modèle si novateur et radical dans sa démarche artistique qui a marqué l’histoire de l’art de la seconde moitié du XXe siècle
Miguel Chevalier, Pixels Noir Lumière 2019
L’art numérique fait donc son entrée remarquée au musée Soulages. D’aucuns pourraient s’étonner du choix d’un artiste représentant d’une forme d’art qui semble très actuelle, du XXIe siècle, pour marquer la célébration du centenaire de Pierre Soulages, résolument peintre, utilisant une large palette d’outils qu’il a inventé lui-même, bien éloignée des créations virtuelles des ordinateurs, interfaces et réseaux qu’utilise Miguel Chevalier.
Pourtant, en étudiant bien la question, ce rapprochement peut finir par apparaître comme une évidence. Constatons d’abord que Miguel Chevalier, développe depuis le début des années 80, une démarche artistique avec pour médium principal l’outil informatique mais dans un dialogue constant avec la peinture et la lumière. Il explore et expérimente un nouveau langage pictural où le pixel devient l’équivalent de la touche picturale. L’artiste n’a jamais caché son intérêt pour la peinture abstraite des années 50 de Pierre Soulages, de Jackson Pollock et de Sam Francis. En hommage à ces artistes, il a notamment mis au point la technique du “dripping1 électronique” s’inscrivant dans la continuité de “l’action painting2” que l’on découvre avec l’installation Pixels liquides. Sortant du rapport du tableau, le spectateur fait corps non plus avec la toile mais avec l’espace de l’écran (13,40 m x 7,80 m).
Commissaire de l’exposition Christophe Hazemann, directeur adjoint du musée Soulages
De multiples ponts intergénérationnels se créent et des liens se tissent entre Miguel Chevalier, « peintre » expérimental d’une peinture virtuelle de lumière coulant en permanence et Pierre Soulages, peintre expérimental de l’abstraction radicale mêlant noir, matière et lumière.
La fin de la Seconde Guerre mondiale a marqué, dans le monde de l’art, une nouvelle période qui se reflète, entre autres, dans une peinture abstraite sans référence au monde extérieur. Pierre Soulages fut un des pionniers de cette aventure collective mais il s’est très rapidement singularisé. A force de persévérance, il a défriché et s’est approprié un territoire sur plus de 70 ans de travail intense, pour créer un univers très personnel, une écriture en soi, sous une forme d’abstraction avec le noir et au- delà. L’Outrenoir cherche à traiter la lumière comme une matière. Aucun autre peintre n’a jamais approché la lumière avec ses tableaux comme il le fait. Basée sur une pratique au long cours et un questionnement incessant sur les moyens, sa démarche d’artiste rejoint, à bien des égards, l’appréhension scientifique. De ce constat, fin 2016 à Lausanne, le projet curatorial de l’exposition Noir, c’est noir ? ambitionna de créer les conditions d’une convergence innovante entre art et science. Cinq laboratoires de l’école polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et des start-up qui en sont issues, ont mis leurs recherches et leurs technologies spécialisées en informatique graphique, au service d’une approche transversale de l’outre-noir, celle de digital natives. Miguel Chevalier est acteur d’une époque qui a vécu un basculement de l’histoire de l’art, à la fin des années 70, où l’on commence à parler d’une société de l’information, des sciences informatiques et numériques. Cet art (re)naissant s’appuie sur l’état de la technique de son temps, il est dépendant du matériel et de l’avancée technologique qui évolue à une vitesse exponentielle, créatrice d’une intelligence artificielle interpellant tout à la fois la science, la société, et l’artiste. Miguel Chevalier, diplômé de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris et de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, s’est peu à peu imposée internationalement, comme l’un des pionniers de l’art virtuel et du numérique dès 1980. Il a participé à l’interrogation de : comment penser ces technologies dans l’art aujourd’hui : simples médias de communication, outils, supports, dispositifs ?. Rapidement il se singularise et utilise ces outils, non pas pour faire leur apologie mais pour essayer de développer une écriture à part entière personnelle intégrant tous les autres supports artistiques que nous connaissons (peinture, photo, vidéo et digital).
Miguel Chevalier travaille la lumière numérique en tant que matière artistique pour créer des expériences et sensations nouvelles au-delà du phénomène optique. L’Origine du Monde 2019, oeuvre de réalité virtuelle générative et interactive, propose une expérience immersive grâce à une projection monumentale au sol (12 x 7,50 m), qui se modifie en temps réel selon le mouvement des spectateurs. Leur déplacement détecté par des capteurs génère des interférences, des ondulations, voire des turbulences, créant sous leurs pas, des expériences visuelles inédites jouant avec les perceptions et les sensations. Des micro-organismes et des automates cellulaires se multiplient, se divisent, fusionnent, prolifèrent dans un rythme tantôt lent, tantôt rapide. Cet univers de synthèse, artificiel, semble retrouver celui de la vie, mais il ne tarde pas à se mêler à un univers de méga-pixels noir et blanc instables qui tourbillonnent. Le titre de l’installation semble répondre à l’énigme de l’apparition de la vie sur Terre. Il nous ramène aux éléments de base de la vie : les cellules composant la matière. L’artiste les met en fusion avec les pixels qui sont eux, les éléments de bases de la « vie » virtuelle. À mi-chemin entre le scientifique et l’alchimiste de l’hybridation, Miguel Chevalier crée une « soupe primordiale » de la vie, synthétisée par ordinateur, dans lequel, comme une illustration de l’Anthropocène3, l’homme intervient et perturbe le cyclenaturel de la vie.
Par l’invention de l’Outrenoir en 1979, Pierre Soulages, précurseur dans son domaine, induit le déplacement du regardeur pour une découverte complète des nuances que génère la lumière au rythme des matières qui scandent les compositions. Selon la position du spectateur face à la toile, ce qui constituait une ligne claire sur une surface sombre peut s’inverser, et devenir une ligne sombre sur une surface claire. Les peintures de Soulages « suivent » en quelque sorte le spectateur et celui-ci devient tout à la fois l’outil et le peintre de la lumière dans ses déplacements. Les rayons lumineux projettent l’oeuvre vers l’avant et remplissent, de manière immatérielle, l’espace entre la toile et le regardeur, lui instaurant donc un caractère immersif, point de départ d’une expérience picturale.
1 Le dripping est un geste et une technique picturale visant à déverser la peinture de manière aléatoire sur un support)
2 L’action painting met l’accent sur l’acte physique de peindre, mêlant abstraction et attitude performative
3 Concept issu des sciences de la terre, la notion d’Anthropocène est apparue au début du 21ème siècle, sous la plume du prix Nobel Paul Crutzen. Elle désigne la période la plus récente de l’histoire de la terre au cours de laquelle « l’environnement » global est modifié par les sociétés humaines)
De ce face à face qui fait entrer le déplacement comme troisième acteur, apparait une nouvelle forme d’art interactif, capable de produire à partir d’une oeuvre « matrice », en fonction de règles définies (la luminosité extérieure, l’heure de la journée, la taille du regardeur, l’angle de vision…), des variantes à chaque fois unique et personnelle. Chacun voit son propre Outre-noir, qui s’inscrit dans la durée, le temps
de l’interaction. L’expérience n’est jamais identique, elle peut évoluer, en fonction de valeurs aléatoires ou en fonction d’une valeur environnementale instable.
Miguel Chevalier utilise la lumière, mais autrement.
Celle qui surgit d’un vidéoprojecteur pour faire apparaître, par exemple dans Pixels Liquides 2019, une peau de pixels noirs et bleus aux étonnants effets de matières et de textures, qui évolue de façon autonome dans le cadre pictural d’un mur de 13,40m x 7,80m. Il implique à son tour le déplacement du spectateur qui transforme la “peinture lumière” en trame de fond et participe à en créer une variante mouvante unique et éphémère qui finira par s’effacer lentement jusqu’au prochain passage d’un visiteur. Chaque corps de spectateur-acteur devient un pinceau numérique d’une oeuvre en perpétuel mouvement, immersive dans l’espace et le temps de l’interaction. L’une des différences cependant est que
l’expérience peut être ici partagée par et entre les différents intervenants modifiants de concert la création tandis que l’expérience est, chez Soulages, toujours solitaire.
D’une démarche, l’autre, dans la relation triangulaire «oeuvre, spect-acteur, déplacement », la technique finit par s’effacer derrière la sensation et ouvre, au-delà du phénomène optique et ludique, la voie à l’introspection, à l’émotion.
En appoint à ces deux installations participatives spectaculaires propices à l’expérience sensorielle et à la réflexion, l’exposition propose en complémentarité deux oeuvres sur écran, l’une sur un écran LCD 82 pouces à la verticale et l’autre sur un écran de leds longitudinal (320cm x 64cm) ainsi qu’une série de 7 oeuvres fixes noir et blanc jouant sur des variations de mat et brillant. Ces oeuvres rendent hommage au point élémentaire de toute image numérique : le pixel. Cet élément basique est un motif récurrent dans le travail de Miguel Chevalier et de ses recherches. Il est pour lui l’équivalent de la touche picturale.
Ici agrandi à l’extrême, le pixel devient autonome et compose des univers abstraits et très graphiques empreint de poésie.
A l’heure où une nouvelle génération d’artistes se saisit des nouveaux outils numériques, notamment le casque de réalité virtuelle, pour se laisser tenter par la dématérialisation complète de l’art, l’oeuvre de réalité virtuelle, paradoxale, n’est plus un objet matériel que l’on vient regarder mais une expérience dans laquelle il faut s’immerger. Miguel Chevalier, en contrepied, matérialise le virtuel avec 3 sculptures en plexiglas réalisée grâce à la technique de découpe laser. Abordant pareillement le thème du pixel, la superposition des plaques transparentes ajourées crée un jeu de plein et de vide, renforcés par la lumière qui traverse les découpes. Il en émerge une esthétique du virtuel, mêlant matière et pixels. Le travail de l’artiste, d’esthétique abstraite, trouve avec la découpeuse laser, un outil idéal pour réaliser ces ambitions de matérialisation du virtuel.
Au regard de cette exposition, l’oeuvre de Miguel Chevalier se révèle tout autant spectaculaire qu’expérimentale, prenant ici appui sur la démarche de Pierre Soulages dont il reformule, à sa manière, des données essentielles. Son travail pluridisciplinaire aborde notamment la question de la virtualité dans l’art, avec la générativité, et l’interactivité et la matérialité. Les images abstraites et figuratives qu’il nous livre interrogent aussi perpétuellement nos sens dans notre relation au monde technologique actuel et futur, avec la volonté de nous projeter dans l’art du XXIe siècle.