C'est le grand site pour Visa, hors soirée spécial et les lieux avec des concerts qui étaient fermées.
C'est du très long, mais du bon aussi.
GARTHWAITE
Didjla : voyage le long du Tigre
Lorsque je suis entrée pour la première fois dans la maison d'une famille irakienne, j'ai eu l'impression qu'un monde nouveau s'offrait à moi.
Là, au milieu des palmiers dattiers sur les rives de l'Euphrate, une famille m'a accueillie. C'était en 2017, je faisais le pèlerinage de l'Arbain, l'un des plus grands rassemblements religieux au monde, de la ville Sainte de Nadjaf à celle de Kerbala le long de l'Euphrate. Depuis, j'y suis retournée à trois reprises.
C'est en 2019 que j'ai vu le Tigre, ou Didjla en arabe, pour la première fois. Ce fleuve a vu naître des civilisations, et je l'ai parcouru en bateau à travers la Turquie, la Syrie et l'Irak. J'ai passé deux années à faire des recherches sur le fleuve et à établir un réseau complexe de contacts dans toute la région. Il m'a fallu plus de 70 jours pour sillonner les 1 900 km du fleuve, plus de 40 embarcations et des centaines d'heures
de négociations avec les forces de sécurité et les milices. En 2023, je suis retournée sur les rives du fleuve, à la recherche du jardin d'Eden.
Le Tigre a toujours été plus qu'un simple fleuve. Aujourd'hui, près de 30 millions de personnes vivent dans le bassin hydrographique du Tigre. Avec l'Euphrate, il a irrigué la Mésopotamie et les premières civilisations. Durant 7 000 ans, les cycles d'inondation ont engendré des saisons d'abondance et de pénurie. Les principaux centres de pouvoir et d'influence ont vu le jour et se sont développés aux confluents et dans les ports naturels. La capitale politique s'est déplacée en amont et en aval, au rythme des échanges commerciaux. De nombreux sites antiques sont aujourd'hui encore des centres industriels, comme les villes de Mossoul, Bagdad, Samarra ou Bassorah.
J'ai explore la vie jusque dans ses marges, voyageant a travers des lieux de mémoire et de tragédie, et dans des zones de désastre environnemental, à la recherche d'un refuge, d'un renouveau, dans l'espoir de voir ce qui a été perdu et ce qui a survécu. Le Tigre est le liant de l'Irak, de même qu'il a lié toutes mes expériences en Irak, et lié ma vie à cette terre devenue un foyer.
Ce récit est celui de l'Irak, entre civilisations anciennes et vie contemporaine, vu à travers le prisme du Tigre.
Emily Garthwaite
Abou Elsa devant la maison famillale. À l'arrière-plan, les torchères des puits de pétrole illuminent le ciel nocture. Marais de Hawizeh.
Révoltes en Iran
Tu ne meurs pas
Lorsque la révolte des Iraniennes et Iraniens survient à la mort de Mahsa (Jina) Amini, le 16 septembre 2022, très peu d'images sont à la disposition des journaux pour dire ce qui se passe réellement en Iran. Les agences d'information sont saturées de photos fabriquées par le régime et sont, indirectement mais fortement, sommées de ne pas envoyer de journalistes pour couvrir les manifestations. Aucun visa n'est accordé aux journaux.
Pourtant, sur Twitter et Instagram, il est possible de suivre jour après jour, heure après heure, le soulèvement en marche. Les réseaux sociaux donnent à voir un témoignage direct, photographié, filmé par les Iraniens eux-mêmes, une vérité parallèle à la version des faits selon le régime.
Nous décidons donc de constituer notre propre corpus et de le vérifier. Autour de nos journalistes et de deux experts iraniens, Farzad Seifikaran et Payam Elhami, une petite équipe se met en place. Grâce au travail d'archivage de ces images, à leur connaissance des lieux et de la langue, nous avons pu vérifier les photos et vidéos, suivre et restituer à nos lecteurs l'ampleur de ce soulèvement historique. Ces images diffusées sur les réseaux sociaux nous ont renseignés sur des faits que nous avons examinés avec attention, jusqu'à ce qu'ils soient vérifiés par des journalistes. Le monde n'a jamais été autant photographié, les photojournalistes jamais aussi nombreux, pourtant l'information par l'image, vulnérable et décisive à la fois, n'aura jamais autant échappé aux professionnels.
C'est cette chaîne journalistique de confiance qui assure aux lecteurs, en bout de chaîne, la véracité de ce qu'ils voient.
Nicolas Jimenez, directeur de la photographie au journal Le Monde & Marie Sumalla, rédactrice photo
Commissaires d'exposition : Marie Sumalla, rédactrice photo, et Ghazal Golshiri, journaliste / Le Monde
Remerciements : Aux photographes et journalistes iraniens, et particulièrement à Elaheh Mohammadi et Niloufar Hamedi qui ont immortalisé, avec leur appareil photo et leur plume, la mort de Mahsa Amini et son enterrement.
En détention depuis septembre 2022, elles encourent des peines très lourdes pour avoir exercé leur métier de journaliste.
À Farzad Seifikaran, Nicolas Jimenez, Jean-Philippe Rémy, Madjid Zerrouky, et à nos amis en Iran sans qui cette exposition n'aurait pas pu exister.
Le 13 septembre 2022, Mahsa (Jina) Amini, 22 ans, est vêtue d'un simple manteau noir et d'un foulard de la même couleur. Elle est pourtant arrêtée par la police des mœurs pour ses habits jugés « inappropriés ». Vivant à Saqqez, une ville kurde située dans le nord-ouest de l'Iran, la jeune femme s'était rendue à Téhéran en famille pour visiter la capitale.
Mahsa Amini tombe dans le coma pendant sa garde à vue, vraisemblablement à cause de coups reçus sur la tête. Sa mort enflamme le pays. Internet est coupé.
WhatsApp et Instagram sont bloqués. Les Iraniens ont recours à des logiciels anti-filtrage pour se connecter. Celles et ceux qui osent descendre dans la rue encourent de graves risques, dont l'exécution.
PELLEGRIN
Nous avons rencontré Paolo Pellegrin en 1992.
Il était alors inconnu et nous avait présenté un travail sur les barboni, les sans-abri de Rome.
Ses photos étaient superbes et nous avions eu l'idée de les présenter en grand format dans les rues piétonnes de Perpignan. Malheureusement, la tramontane a décidé de détruire notre exposition deux jours avant l'inauguration. Nous avions donc re-exposé son travail l'année suivante de manière
plus traditionnelle. Depuis, Paolo est l'un de nos compagnons de route les plus fidèles.
Nous avons exposé son travail sur le sida en Ouganda, son Cambodge, son Kosovo, son sujet sur l'ouragan Katrina en Louisiane, sur la diaspora irakienne. Et puis il y a eu de nombreuses projections, avec la Bosnie, l'Albanie, l'Algérie, le Rwanda, le choléra en Ouganda, le Liban, le Darfour, Gaza, et je crois que j'en oublie.
C'est un photographe qui a une véritable empathie pour son sujet. Il voit les gens souffrir et souffre avec eux, et cherche à attirer notre attention sur ces victimes de crises ou de conflits. Et toujours avec le même talent, la même maîtrise, la même sensibilité, dans un style que l'on reconnaît immédiatement.
Pour notre 30° édition, je lui avais téléphoné pour lui dire que j'aurais aimé l'avoir avec nous pour « mon » festival. Il m'avait repris en me disant que ce n'était pas « mon » festival mais celui de tous les photojournalistes. J'avais trouve sa réaction formidable, cela signifiait juste que nous avions grandi ensemble.
Depuis 1992, Paolo Pellegrin a fait partie de plusieurs agences, Grazia Neri, VU, et est aujourd'hui l'un des membres les plus réputés de l'agence Magnum Photos.
Au long de toutes ces années, notre relation s'est peu à peu transformée en amitié sincère, et je dois admettre que sa fidélité me touche énormément.
Pour cette 35° édition, j'ai souhaité vous présenter une promenade dans toutes ces « années Visa » que nous avons partagées.
Jean-François Leroy, directeur du festival
Dans l'un des centaines de tunnels de contrebande qui relient la bande de Gaza à l'Egypte. Gaza, bande de Gaza, 2011.
Les habitants fuient les zones controlees par Daech en emportant leurs biens, comme ces bergers qui emmenent leurs moutons. Mossoul, Irak, 2016.
HICKS
Bakhmout, une ville en guerre
Le regard au ras de leur tranchée boueuse, les soldats ukrainiens chargés de défendre une malheureuse parcelle de terre ensanglantée dans la région du Donbass sont suffisamment proches pour regarder les soldats russes droit dans les yeux.
Nous sommes à l'hiver 2023, un an après que le président Vladimir V. Poutine a ordonné à son armée d'envahir le pays, avançant des arguments infondés selon lesquels l'Ukraine serait dirigée par des nazis. Aujourd'hui, ses combattants tentent désespérément une nouvelle avancée dans l'est de l'Ukraine.
Après plusieurs tentatives échouées de percer les lignes ukrainiennes malgré des attaques incessantes qui ont laissé des villes et villages entiers en ruines, les commandants russes déploient à présent des vagues de soldats, dont beaucoup enrôlés dans les prisons russes, mal entraînés et menacés de violences physiques s'ils battent en retraite.
Depuis le début de l'invasion, Tyler Hicks, photographe pour le New York Times, travaille presque exclusivement dans le Donbass où il est témoin des combats rapprochés et
de la destruction de cette région.
Tandis que les combats continuent de faire rage, dans les tranchées les soldats ukrainiens n'ont souvent qu'un seul mot pour décrire la guerre : l'enfer. Et dans les différents cercles de l'enfer à l'est de l'Ukraine, il n'est de lieu plus emblématique de la barbarie de la guerre que Bakhmout.
L'anéantissement de cette ville de l'est du pays ne s'est pas produit en un jour. Ce sont plusieurs mois de combats féroces qui ont transformé ce lieu autrefois paisible, réputé pour son vin mousseux, en un sinistre tableau de destruction et de mort. Les forces ukrainiennes ont fait face aux balles, aux obus et aux drones d'attaque. Au milieu des décombres de la ville dévastée, ils ont été confrontés à des barrages d'artillerie, des frappes aériennes et des tireurs embusqués. Les champs et la terre éventrés par les cratères et les tranchées évoquent des scènes de la Première Guerre mondiale et certains des champs de bataille les plus meurtriers d'Europe, tels Verdun et la Somme.
Lorsque les frappes russes ont commencé, des civils vivaient encore à Bakhmout, et alors même que la destruction autour d'eux s'amplifiait, des milliers d'habitants ont refusé de fuir. Mais jour après jour la situation n'a fait qu'empirer. À l'automne, les rares personnes qui restaient se sont réfugiées sous terre, à l'abri du pilonnage sans répit.
Les militaires entendent encore régulièrement les mêmes prédictions qui annoncent que la ville tombera bientôt. Mais ils suivent leurs ordres, et jusqu'à présent le chœur des sceptiques s'est trompé. Un nouvel adage est apparu dans le lexique ukrainien : « Bakhmout résiste. »
À Noël, 90 % de la population avait fui. Il ne restait plus que les plus démunis, les personnes handicapées et celles trop âgées pour se déplacer. Au fur et à mesure que la ville se transformait en garnison militaire, les civils disparaissaient, remplacés par les visages épuisés des soldats qui tentaient de survivre au cœur de cette violence incessante. Des deux côtés, le nombre de victimes est monté en flèche, mais près d'un an après le début des bombardements de Bakhmout par la Russie, la ville était encore debout.
Bakhmout est désormais emblématique du sacrifice, du prix à payer à cause de l'invasion injustifiée de l'Ukraine par la Russie. Les images de Tyler Hicks constituent un témoignage saisissant de cette destruction.
A suivre.